Les avions qui portent les couleurs de l’armée de Sa Très Gracieuse Majesté, qu’ils soient embarqués sur porte-avions ou basés à terre, ont souvent la réputation d’avoir un look particulier, qu’on qualifie poliment de ‘so british’. Tel n’est pas le cas, selon moi, du Buccaneer.
Cet avion a été produit par la firme Blackburn, qui n’a pas réalisé que des avions ayant de belles lignes.
Le Beverley, un avion de transport construit à une cinquantaine d’exemplaires, était simplement massif. Il devait bien avoir une grande soute après tout, pour un avion de transport, c’est plus pratique.
Le Firebrand, un chasseur-bombardier embarqué, avait de belles lignes, si l’on excepte ses volets.
Le Botha, quoique produit à presque 600 exemplaires, fut un fiasco. Ce zinc a un nez peu élégant, mais il y a pire chez Blackburn, bien pire...
Deux monoplans équipaient les escadrilles embarquées de la Fleet Air Arm à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale : les Skua et Roc, respectivement un avion d’attaque et un chasseur à tourelle, très semblable au plus connu Boulton Paul Defiant. Leurs lignes sont acceptables.
On remonte encore le temps et on arrive aux biplans, les Ripon et Shark, très élégants je trouve. Ils possèdent le charme des biplans d’avant-guerre.
Là où l’affaire se corse, c’est avec le Dart, un bombardier torpilleur. Ses lignes sont plus discutables.
Mais le summum du summum est atteint avec le Blackburn (oui, le Blackburn Blackburn, ce n’est pas une erreur), un appareil de reconnaissance embarqué construit à moins de 50 exemplaires. Je vous laisse admirer la bête. Dans une vitrine de maquettiste ou sur une table d’exposition, un tel zinc se remarquerait à coup sûr.
Donc, le Buccaneer est beau, na ! Bon, il a peut-être un léger embonpoint sur la partie arrière…
...mais un Buccaneer, c’est quand même beau.
Au passage, Blackburn a produit bien d’autres avions, je ne les ai pas tous cités.
Revenons donc au Buccaneer, puisque vous l’avez sans doute deviné, ce sera le sujet de mon prochain montage. Cet avion trouve ses origines dans un cahier des charges communiqué en 1952 par l’Amirauté britannique désirant équiper ses unités avec un appareil optimisé pour la pénétration à très basse altitude, sous la couverture des radars embarqués ou terrestres. Il fallait que cet avion vole vite, pas loin de la vitesse du son, au raz des vagues, et qu’il puisse opérer sur les porte-avions de la Royal Navy, au pont plus court que ceux de l’US Navy. Il s’agissait donc d’un beau défit technique qui fut relevé par la firme Blackburn and General Aircraft, dont le projet fut retenu. Le premier prototype prit l’air en avril 1959, et il fut suivi par dix-neuf autres prototypes et appareils de pré-série (serial des prototypes : XK486, XK487 et XK488 – serial des avions de pré-série : XK489 à XK491 et XK523 à XK536). Les premiers avions n’avaient pas dans la pointe avant de radar, mais une perche de ravitaillement en vol.
L’avion fut baptisé Buccaneer, boucanier en français, rappelant les pirates du temps de la marine à voile.
Le Buccaneer possédait une soute à bombe rotative, sans trappe, ce qui permettait de larguer des bombes à forte vitesse sans être gêné par la traînée engendrée par l’ouverture des trappes, ou de larguer une bombe nucléaire en chandelle, un peu comme son contemporain le North-American A-5 Vigilante (sur ce dernier, la bombe était larguée grâce à un conduit débouchant à l’arrière entre les deux tuyères des réacteurs). Sur les deux clichés suivants, on voit très bien le dessin de la soute sur le ventre de l’avion.
Afin de réduire la vitesse de décrochage, nécessaire pour avoir plus de marge pour apponter et être catapulté des petits porte-avions de Sa Très Gracieuse Majesté, le Buccanner fut équipé d’un dispositif de soufflage de la couche limite : de l’air prélevé à la sortie des compresseurs des réacteurs était éjecté sur l’extrados de la voilure, augmentant ainsi la vitesse du flux d’air sur le revêtement de l’avion et permettant un gain en portance. De plus, il était équipé d’un imposant aérofrein logé dans sa queue et se déployant en deux pétales.
Il faut ajouter que l’avion décollait en position cabré : la roue avant ne touchait pas le pont du porte-avions.
Illustration en vidéo avec ce film montrant des séries de catapultages et d’appontages sur le HMS Ark Royal en 1975 : on voit très bien le décollage ‘sur les fesses’ du Buccaneer.
Le Supermarine Scimitar était lui aussi catapulté de cette façon.
Enfin, pour pouvoir faciliter l’utilisation des ascenseurs et le stockage dans les hangars, la pointe avant du Buccaneer se repliait sur le côté. Voilà une photographie des deux hangars du HMS Eagle :
- sur le pont supérieur sont rangés les Fairey Gannet, Westland Wessex et Supermarine Scimitar,
- sur le pont inférieur nous avons deux Buccaneer : le cône avant est replié et les pétales de l’aérofrein déployés.
Deux versions du Buccaneer furent utilisées par la Royal Navy :
- le S. Mk. 1, équipés de réacteurs De Havilland Gyron Junior,
- le S. Mk. 2, équipés de Rolls-Royce Spey plus puissants.
Un moyen de distinguer ces deux versions est d’observer les entrées d’air : elles sont beaucoup plus grosses sur le S. Mk. 2.
Le Buccaneer entra en service dans la Fleet Air Arm en 1962, au sein du 801 Naval Air Squadron basé en Ecosse, à Lossiemouth. Le premier déploiement sur porte-avions fut réalisé en février 1963, à bord du HMS Ark Royal. Au cours de leur carrière opérationnelle, les Buccaneer opérèrent sur quatre porte-avions : les HMS Eagle, HMS Hermes, HMS Victorious et HMS Ark Royal.
Ils participèrent aux opérations de retrait des forces de l’Empire britannique de ses anciennes possessions. Nous avons d’abord un Buccaneer du Squadron 800 du HMS Eagle survolant un pétrolier suspect dans le canal du Mozambique en 1966, lors du blocus de la Rhodésie qui venait de proclamer son indépendance. Nous avons ensuite un Buccaneer toujours du Squadron 800 du HMS Eagle en patrouille au-dessus d’Aden, lors du retrait des troupes britanniques en 1967.
En mars 1967, les Blackburn Buccaneer sont envoyés bombarder le pétrolier Torrey Canyon, qui venait de s’échouer aux larges de la Cornouailles. Le but de l’opération était d’enflammer le pétrole restant dans les soutes du navire afin de limiter la pollution. Ce fut un échec, le pétrole supplémentaire libéré se répandant sur les côtes britanniques et jusqu’en Bretagne.
Ils participèrent à de nombreux exercices de l’OTAN, croisant souvent la route de navires battant pavillon soviétique, comme ce destroyer de classe Kotlin.
Le Buccaneer fut retiré du service actif à la mer lorsque la Grande-Bretagne se sépara de son dernier porte-avions conventionnel, le HMS Ark Royal, à la fin des années soixante-dix. Les Buccaneer de la Royal Navy n’ont porté que trois camouflages :
- l’un entièrement blanc : c’était une peinture blanche anti-radiation,
- un autre plus classique blanc dessous et Extra Dark Sea Grey dessus,
- le dernier camouflage étant entièrement Extra Dark Sea Grey.
La Royal Air Force utilisa aussi le Buccaneer, bien que cela ne fut pas prévu au départ. Dans les années soixante, des restrictions budgétaires diminuèrent la flotte de porte-avions de la Royal Navy, pour les supprimer définitivement dans les années soixante-dix, du moins dans leur forme conventionnelle. Des Buccaneer disponibles furent donc transférés à la Royal Air Force, qui les utilisa après les abandons, principalement pour des motifs budgétaires, des BAC TSR.2 (quelques prototypes ont volé) et General Dynamics F-111K (deux avions étaient en cours d’assemblage aux Etats-Unis).
Lorsque les porte-avions britanniques furent retirés du service, les Buccaneer survivants furent transférés à la Royal Air Force. Ils furent utilisés pendant de nombreuses années, jusqu’à leur retrait dans les années quatre-vingt-dix, après avoir participé à la guerre du Golfe en 1991, revêtus d’un camouflage désert.
L’Afrique du Sud fut le seul pays étranger à recevoir des Buccaneer. Elle prit en compte dans les années soixante quinze appareils, désignés S Mk. 50, un seizième ayant été perdu lors de sa livraison. A la suite d’attaques menées par la South African Air Force en territoire angolais, le gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté refusa de livrer les quatorze exemplaires supplémentaires commandés par l’Afrique du Sud.
De nombreux Buccaneer sont conservés, plus ou moins complets, plus ou moins bien préservés. La liste se trouve ici.
Le cockpit du XT280 est conservé au Dumfries & Galloway Aviation museum, dans le sud de l’Ecosse, revêtu d’un camouflage de la Royal Navy
Le XN957, un S. Mk. 1, est conservé au Fleet Air Arm museum localisé sur la RNAS Yeovilton, dans le sud-ouest de l’Angleterre. A ses côtés se trouve le XV333, un S. Mk. 2. Si vous voulez donc voir les deux versions britanniques du Buccaneer, rendez-vous à Yeovilton.
Vous pourrez admirer le XX894 et le XW544 à l’aéroport de Coswold, dans l’ouest de l’Angleterre, entre Bristol et Gloucester. Vous aurez ainsi sous les yeux un Buccaneer aux couleurs de la Royal Navy et un Buccaneer aux couleurs de la Royal Air Force.
Si l’Afrique du Sud fait partie de vos destinations futures, lorsque vous serez à Johannesburg, faites un crochet par le South African National Museum of Military History où se trouve le 422.
Le kit que je vais monter est le tout récent Airfix, qu’on voit bien trop peu souvent à mon goût.
La décoration choisie est celle d’un appareil du 800 Naval Air Squadron, embarqué sur le HMS Eagle en 1971.
Le voilà au catapultage sous l’oeil vigilant d’un Westland Wessex.
A bientôt
Dernière édition par Jasper Joker II le Sam 19 Oct 2024 - 12:42, édité 1 fois